mardi 18 octobre 2016

"On n'apprend pas à devenir vieux…"


Henri Calet, Peau d'ours


"Peau d'Ours de l'écrivain Henri Calet (1904-1956) rassemble les notes qu'il a prises les cinq dernières années de sa vie, en vue d'un roman qu'il n'eut pas le temps d'écrire et qui devait porter ce titre. Avant sa mise en forme pour sa publication posthume, "Peau d'Ours" se composait d'un amas de papiers de différente nature : un nombre important de petites feuilles de toutes dimensions, sur lesquelles l'écrivain avait noté ses réflexions et ses observations, des lettres, quelques articles, et enfin un relevé de ses agendas depuis la fin de l'année 1949.(…)"


Quelques fragments d'Henri Calet



"Un homme inanimé, étendu sur la chaussée, à côté de sa motocyclette... tel fut le premier spectacle que nous eûmes en pénétrant dans Bordeaux. Autour de la tête du blessé, s'étaient éparpillées les marguerites qu'il avait apportées de la campagne. Il y a des gens qui pensent à tout : ils se déplacent avec leurs fleurs et leurs couronnes. Par bonheur, il n'était pas mort." 
extrait de Poussières de la route

* * *

"Je m'aperçois que je me suis peu étendu jusqu'ici sur le paysage. C'est l'occasion de tâcher de m'expliquer, une fois pour toutes, sur mes rapports avec la nature, en général. Si je ne trouve jamais rien, ou à peu près, à en dire ni à lui dire, c'est sûrement pour les mêmes raisons profondes qui vous font demeurer coi dans l'intimité d'un être bien-aimé. On reste là, muet — comme un peu engourdi — mais bourré de sentiments intransmissibles et dans une pareille qualité de silence. C'est lorsqu'on se tait qu'on a le plus à dire."
extrait de Poussières de la route

* * *

" Je pense que j’ai eu tort de te faire venir en ce monde. Tu verras, ce n’est pas très drôle, quoi qu’on en dise. Te voilà, par ma faute, condamné à la peine de vie. Mais rassure-toi, ce n’est pas si long qu’il y paraît : tout a une fin." 
extrait de Monsieur Paul

*  *  *


"J’ai été bien malade, mon cher ami, je le suis encore. 
Mais, je commence à me lever un peu. 
En somme, je suis resté près de trois mois au lit. 
Maintenant, si tout va bien, je vais pouvoir me remettre à vivre tout doucement, avec une grande prudence… 
Nous en avons fini avec les plus intéressants chapitres. 
C’est autre chose qui commence : une histoire précaire, incertaine, un peu triste. 
On n’apprend pas à devenir vieux. 
Tout m’est interdit. 
Je ne peux plus que marcher à petits pas dans la vie. 
Je t’ennuie avec ces misères. 
Laissons cela. 
Je vais aller me coucher."
* * *

« C’est sur la peau de mon cœur que l’on trouverait des rides.

Je suis déjà un peu parti, absent.
Faites comme si je n’étais pas là.
Ma voix ne porte plus très loin.

Mourir sans savoir ce qu’est la mort, ni la vie.

Il faut se quitter déjà ?

Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. 
»


extrait de Peau d'ours


"J'entends les exclamations des passants et leurs remarques miséricordieuses sur le pauvre type qui gigote encore spasmodiquement ; je sais par expérience, de quelle nature est la satisfaction qu'ils ressentent, au fond d'eux mêmes. Ils l'ont, ce coup-ci, échappé belle. La mort des uns redonne un peu de saveur à la vie des autres." 
extrait de Monsieur Paul

Henri Calet

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