jeudi 7 avril 2011

ILLOUMINÉCHEUNES








Ce n'est pas sans honte que j'avoue m'être assis, moi aussi, l'autre jour, comme tant de gogos déjà avant moi, face à la Dream Machine de Bryon Gysin. "La première œuvre d'art qu'on regarde les yeux fermés" dit Gysin. Cette machine a surtout fait rêver ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de la voir. Et ceux qui sont déjà bien lancés dans un trip avant d'y coller leurs paupières. 
Je n'ai pas été déçu. Au contraire, car je m'attendais à pire flop. 
Mettons que ce que j'ai vu était du même ordre, mais en moins puissant, que le psychédélisme lumineux que provoque d'ordinaire ma lubie de regarder la télévision dans le noir, de très près mais les yeux clos et le son à fond. Quant à l'effet stroboscopo-hypnotique il n'impressionnera guère quiconque a traîné en philosophe au Luna Park, ou fréquenté une boîte de nuit, même la plus minable, ou conduit en baîllant la nuit sur le périphérique ou un jour de grand soleil, sur la Nationale 7, dans ses portions platanifères.
C'est d'ailleurs, d'après la légende de ce dingo, en fermant les yeux tandis que le train ou l'autocar fonçait  en plein cagnard le long de la Côte d'Azur que Bryon Gysin eut l'illumination de ces illuminations stroboscopiques et tâcha dès lors de trouver moyen mécanique de reproduire cette expérience stupéfiante à volonté. Burroughs, bon client toujours déjà bien parti, se chargea d'en faire la réclame : il confessait se coller devant l'engin mirobolant durant des heures pour se nettoyer synapses et nerfs. (Il trouvait également éclairant de se coller pendant des heures au premier rang devant la tribune lumineuse de Ron Hubbard.)
Mais cette dream machine n'est rien d'autre que la version psychédélique et abstraite des sublimes zootropes et praxinoscopes. Je possédais, môme, un de ces joujous bluffant. J'inventais des images, pour changer un peu de la seule de ce zootrope. Puis un jour on a eu la télé.
Cela fait depuis 1967 que ces deux allumés de Burroughs et Gysin m'amusent beaucoup, car ils se sont beaucoup amusés, se permettant le pire en découpant la paperasse morte, les images mortes, le flux des paroles mortes, quasi seuls au sommet de l'Everest des déjections humaines : leur art du recyclage et du détournement a, depuis eux, fait flores. Il a inspiré par exemple le copier/coller et  plus largement, tout l'usage de l'univers cybernétique. Et leur absence de scrupules a fait planétairement jurisprudence. 
Tout est permis.
Do easy.
Le cisaillement lumineux ou verbal fut leur méthode, empruntée aux dadaïstes et américanisée : c'est le truc de la coupe sombre et de l'illusion d'optique. Les deux mômes Arthur Rimbaud et Isidore Ducasse en avaient été les inventeurs, taillant sans vergogne leur bigarré costume de poète sauvage dans les ouvrages qui s'entassaient à portée de leur main, œuvres des maîtres de l'inspiration calibrée grandiose, interminable baratin scientifique, et rébarbative prose pédagogique.
Cette lampe de chevet très vintage ne fait décidément pas d'ombre à la concurrence rayonnante de la vieille lanterne de la rue de la Vieille-Lanterne, dream machine absolue, elle, à laquelle, jadis, un rêveur d'une autre envergure, lui, se pendit en y nouant sa cravate.
L. Watt-Owen





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